Montée du Rassemblement national en Limousin

Montée du Rassemblement national en Limousin

Décryptage

26' // Reportage, janvier 2025
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Comment passe-t-on de 10 % de vote pour le Rassemblement national à 33 % dans un département comme la Creuse en l’espace de huit ans ? C’est la question qui a travaillé Darel Bisset, de passage à Télé Millevaches en service civique. Il a interrogé politiques, militants, habitants et chercheurs – de la gauche à l’extrême droite – sur ce sujet.

Catherine Couturier, députée sortante battue par Bartolomé Lenoir en 2024, insiste sur le fait que les classes les plus précaires continuent de voter à gauche : « ce sont surtout les ouvriers et la classe moyenne, qui gagnent entre 1 200 et 1 900 euros par mois, qui votent RN par peur d’un déclassement. » Le sociologue Olivier Bouba-Olga confirme que les ouvriers sont la première catégorie sociale à voter pour le RN, surtout en ruralité, et assure qu’ils ont été crispés par certains discours de la gauche écologiste à l’égard de ceux qui font beaucoup de kilomètres en voiture, vivent en pavillonnaire et font des barbecues le dimanche. « Ces discours stigmatisants ont produit une véritable détestation envers le personnel politique. Je l’entends beaucoup sur le terrain. Ça fait peur, il y a vraiment de la haine ». La porte-parole du RN en Creuse, Camille dos Santos de Oliveira, exploite la faille : « Sandrine Rousseau a le métro à Paris, mais je la mets au défi de devenir infirmière ici et de rouler toute la journée en voiture électrique. Les élites qui vivent dans les métropoles sont déconnectées et ne réalisent pas que la France est en réalité essentiellement rurale. »

L’équipe de Darel se rend à Saint-Maurice-la-Souterraine, commune creusoise de 1 200 habitants qui a voté à près de 50 % pour le Rassemblement national. Dans le bourg, un café à vendre, des boutiques aux portes closes forment l’unique décor entourant la mairie. Après deux heures de porte-à-porte dans cette commune majoritairement composée de pavillons, il parvient à interroger un retraité dans son jardin qui explique avoir voté pour le RN par ras-le-bol et sentiment d’abandon. « Maintenant je suis dégoûté, je ne voterai plus pour personne, ça va jamais changer, on sera toujours des laissés pour compte » conclut-il, la voix tremblante.

Les militants de gauche auraient abandonné les campagnes, privilégiant la stratégie des villes et des quartiers populaires. « Alors que les militants du RN, eux, passent leur temps à aller les voir ! » insiste le sociologue Olivier Bouba-Olga.

Pour en savoir plus

Le député de la Creuse Bartolomé Lenoir récolte la tempête04'49''

« Le comité d’entreprise d’Enedis laisse une association d’extrême-gauche occuper un centre de vacances », « La Creuse pourrait devenir une nouvelle ZAD », « Monsieur le ministre, oserez-vous empêcher l’implantation d’une ZAD dans mon département ? » C’est en réaction à ces propos adressés par le député de la Creuse Bartolomé Lenoir (UDR) au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau (LR), le 12 novembre à l’Assemblée nationale, que 70 élus locaux ont signé un manifeste, en collaboration avec la Ligue des Droits de l’Homme. Une conférence de presse s’est tenue le 11 décembre dans le tiers-lieu de la Quincaillerie, à Guéret, pour lire le manifeste et répondre aux questions des journalistes.

« Ce qui nous anime aujourd’hui est très important pour la République » dira, solennel, M. Éric Correia, président de l’Agglomération du Grand Guéret. « Ce n’est jamais impunément qu’on éveille la haine, la peur. Je suis très inquiète » a ajouté Marie-Françoise Fournier, maire de Guéret. L’accent a également été mis sur la responsabilité des médias : « Ça fait des mois et des années qu’on est bombardés de fausses informations sur le Chammet et sur le sud de la Creuse. À un moment ces faux récits successifs finissent par créer une vérité, y compris chez les journalistes raisonnables » s’emporte presque Christophe Baumgarten, conseiller municipal de Faux-la-Montagne.

Une question demeure : ce manifeste sera-t-il le point de départ d’une union des gauches pour les prochaines élections législatives ? Les élus sont restés flous à ce sujet, en précisant que le manifeste avait été envoyé à Renaissance et aux Républicains mais que ces derniers n’avaient pas voulu le signer.

Un homme âgé et digne, couvert de médailles, en costume et coiffé d'un béret rouge. Au milieu d'un événement public.Qui est patriote ?05'18''

Le 14 juillet, l’association Artémis nous invitait à commémorer les 80 ans de l’opération Cadillac à Pleaux dans le Cantal. Pour l’occasion, Télé Millevaches s’est interrogée sur la question du patriotisme. En 1944, l’opération militaire d’envergure consiste à larguer des armes, des médicaments et des vivres pour renforcer la puissance matérielle des résistants. Ces derniers appuient la contre-offensive des Alliés contre l’Allemagne nazie.

Depuis les dernières élections européennes, Jordan Bardella, président du Rassemblement national, a pris la tête du groupe « Patriotes pour l’Europe » au Parlement européen. Une formation politique qui assume des liens étroits avec le belligérant Vladimir Poutine. En ces temps troublés et inquiétants, il nous semblait important d’interroger à nouveau cette notion de patriotisme. D’autant plus lors d’un événement qui célèbre la résistance française contre l’occupant allemand.

« On est d’ici, les gens d’ici c’est ça, ils veulent sauvegarder leur coin, leur région » explique simplement un ancien, décoré de médailles. « Nous, on se revendique françaises, patriotes et universalistes, ajoutent fièrement deux femmes habillées en costumes d’époques, drapeau tricolore en main. Ce drapeau ne doit pas être récupéré par un parti d’extrême-droite » concluent-elles sous les applaudissements des passants.

Fabien Tillon, auteur d’une biographie sur son grand-père Charles Tillon, résistant communiste, fondateur des Francs-tireurs et partisans, ministre du gouvernement provisoire de 1944 à 1946, et fidèle ami de Georges Guingouin, nous apporte son analyse. « Charles Tillon revendiquait le terme de patriote, insiste-il. Les vichystes, bien que se revendiquant eux-mêmes patriotes étaient en réalité des traîtres de la Nation. Ils ont collaboré avec les ennemis allemands, italiens et japonais. Aujourd’hui, les gens du RN se disent patriotes mais défendent en réalité la France d’un monde ancien » conclut-il. 290289

40 % de votes extrême droite à Oradour-sur-Glane05'09''

Le matin du 10 juin, les résultats des élections européennes sont communiqués pour chaque commune par voie de presse. Un chiffre choque plus que les autres : la commune d’Oradour-sur-Glane, lieu symbolique des atrocités commises par les troupes nazies en 1944, a voté à plus de 40 % pour l’ensemble des partis d’extrême droite.

Coïncidence, le jour de ce résultat avait lieu la commémoration des 80 ans du massacre perpétré par la division SS Das Reich en présence du président français Emmanuel Macron et de son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier.

Télé Millevaches a passé la journée sur place, en essayant d’obtenir quelques mots de la part des personnes venues pour les commémorations, mais aussi de la part de quelques habitants du bourg. « J’ai failli démissionner hier soir, j’ai honte » nous dira en pleurant un élu d’une autre commune et porte drapeau de la Brigade RAC. « C’est contradictoire, car ce sont les mêmes idées politiques que les gens qui ont commandé ce massacre » diront des enfants venus de Saint-Junien. « Vous avez la vieille ville et tout ce qui s’est construit en périphérie, avec des apports de populations nouvelles qui n’ont pas forcément le recul sur les faits qui se sont déroulés ici il y a 80 ans. » ajoutera Guillaume Guérin, président LR de l’agglomération de Limoges. Un ressortissant allemand invité pour l’occasion s’étonnera : « C’est surprenant un tel score dans un endroit comme celui-ci », de même qu’un habitant d’Oradour croisé au café du coin : « C’est bizarre qu’à Oradour il y ait eu autant de votes pour l’extrême droite. En même temps, chacun vote comme il veut ».

Références

Fiche technique

Titre : Montée du Rassemblement national en Limousin
Durée : 26'
Date de production : janvier 2025
Format : HD 1080
Production et distribution : Télé Millevaches
Réalisation : Florent Tillon et Darel Bisset
Droits : Attribution - Pas d’utilisation commerciale - Partage dans les mêmes conditions 3.0 France (CC BY-NC-SA 3.0 FR)
Rushes conservés : oui
Photos du tournage : non

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